Noura croyait avoir tout pour être heureuse : un brillant médecin comme mari, Mohamed Ali, trois enfants merveilleux, et une vie confortable entre Tunis et la banlieue cossue de Mégrine. Mais très vite, l’illusion se brisa. Derrière sa réussite et ses airs de séducteur, Mohamed Ali dissimulait un être d’une froideur et d’une perversité sans nom.
Violence par le déni de la réalité « Tu délires ma pauvre Noura ! Comment peux-tu imaginer de telles choses ? » La première arme de Mohamed Ali fut le déni systématique de la réalité. Chaque fois que Noura osait le confronter sur ses négligences, ses violences verbales ou son indifférence envers elle et les enfants, il niait tout en bloc. Avec une force de persuasion déroutante, il la faisait douter de ses propres ressentis jusqu’à se dire qu’elle devenait folle. Les enfants acquiescaient, préférant le déni à l’inévitable colère paternelle. « Tu as tort maman, papa est quelqu’un de bien ». Le premier doute s’immisça dans l’esprit de Noura.
Violence par la dévalorisation « Regarde-toi, quelle femme désagréable tu fais ! Pas étonnant que je préfère rester au travail ». Aiguisée comme un poignard, la langue acérée de Mohamed Ali ne cessait de dévaloriser Noura et de piéter sa dignité. Critiques incessantes sur son physique ingrat, son manque d’intelligence, son incapacité à tenir un foyer… Peu à peu, ces remarques blessantes sapèrent toute estime que Noura avait d’elle-même. Même les enfants n’étaient pas épargnés par ces souffles dévalorisants. « Samia est si laide avec ses petits kilos », « Malek un vrai feignant sans avenir », « Raouf aussi bête que sa mère ». À défaut d’être aimés, ils grandirent en se haïssant.
Violence par le chantage « Si tu me quittes, tu n’auras plus rien et je garderai les enfants ». Mohamed Ali contrôlait d’une main de fer les finances du foyer, laissant Noura dépendante de son bon vouloir. Son chantage économique et affectif permanent transpirait la menace d’une précarité totale si elle venait à se rebeller. « Tu ne vaux rien sans moi » martelait-il auprès d’elle comme des enfants. Même leurs études étaient conditionnées à leur soumission docile aux caprices paternels. Aveuglés par ces chantages, tous restèrent des années emmurés dans la peur de l’inconnu.
Violence par la privation affective
Hormis quelques moments publics de tendresse feinte, Mohamed Ali faisait subir à sa famille un implacable désert émotionnel. Noura devait se contenter de brefs instants éphémères de gestes d’affection, pour mieux la priver ensuite d’amour sincère pendant des mois. Quant aux enfants, il les ignorait superbement la plupart du temps, sauf pour les rabrouer. Privés de câlins, de mots doux, de simples je t’aime, leur soif d’amour resta éternellement inassouvie, les blessant dans leur plus profonde estime.
Violence par la manipulation mentale « Je fais tout ça pour votre bien » se justifiait invariablement Mohamed Ali. En maître de la manipulation, il avait la terrible faculté de retourner chaque situation à son avantage. Ses abus devenaient des sacrifices de sa part pour les protéger. Ses négligences se muaient en exemples d’autonomie à suivre. Ses coups, des punitions « méritées » pour leur bien. Un jour même, après une violente dispute, il réussit à leur faire croire que c’était Noura la fautive avec ses cris. Par cette logique perverse, le bourreau devenait victime et inversement. Petit à petit, les enfants perdirent tous leurs repères sur ce qu’était le bien et le mal.

Violence par l’humiliation « Alors ma fille, tu n’as toujours pas perdu ces kilos ? Je ne sais plus où me cacher tellement tu me fais honte. » Que ce soit en privé ou en public, Mohamed Ali prenait un malin plaisir à humilier sa femme et ses enfants de la pire des manières. Moqueries incessantes sur leur physique ou leurs défauts, insultes à la moindre petite erreur, allusions dégradantes… Aucun domaine n’était épargné, du plus intime au plus anodin. Le summum fut lorsque devant des amis médusés, il qualifia crûment Noura de « femme lamentable et indigne de son niveau ». Les cicatrices de ces humiliations ne se refermèrent jamais complètement.
Violence par l’indifférence
Peut-être la pire de toutes les violences de Mohamed Ali fut son indifférence abyssale aux souffrances qu’il leur infligeait. Qu’il s’agisse des pleurs de Noura, des crises d’angoisse de Samia ou des troubles alimentaires de Malek, il n’eut jamais un seul geste de compassion ou de réconfort. Son manque d’empathie témoignait de son incapacité totale à se mettre à la place de ses victimes. Seule sa propre personne comptait. Les voir souffrir ne provoquait chez lui aucune once de remord. Une froide indifférence qui brisa à jamais le lien humain avec les siens.
Durant de longues années, la famille de Noura subit ces sept formes de torture psychologique, chacune plus insidieuse que la précédente. Leur maison cossue fut la cage silencieuse de ce drame domestique. Jusqu’au jour où, à bout de force, Noura prit la décision de fuir cet enfer avec ses enfants pour tenter de se reconstruire.
Ce fut d’abord à Tunis qu’ils se réfugièrent dans un petit appartement chez la sœur cadette de Noura, Fériel. Vie modeste mais Oasis de paix après le désert émotionnel de Mégrine. Fériel et son mari Hassine entourèrent d’amour et de bienveillance cette famille brisée.
Les premiers jours à Tunis furent un véritable choc pour Samia, Malek et Raouf. Tout ce qu’ils voyaient chez leur tante et oncle leur semblait irréel : les éclats de rire, les gestes tendres, les câlins spontanés, les mots d’amour… Comme s’ils découvraient une langue oubliée, celle d’une famille normale. Il leur fallut des mois pour commencer à s’ouvrir et dépasser les blocages accumulés sous les coups de boutoir de la violence psychologique paternelle.
Peu à peu cependant, Fériel vit les prémices d’un éveil intérieur chez ces êtres longtemps étouffés. Samia osait enfin sourire sans craindre les moqueries. Malek se passionnait pour la cuisine, un don pour l’art culinaire qu’il n’avait pu exprimer auparavant.
Peu à peu cependant, Fériel vit les prémices d’un éveil intérieur chez ces êtres longtemps étouffés. Samia osait enfin sourire sans craindre les moqueries. Malek se passionnait pour la cuisine, un don pour l’art culinaire qu’il n’avait pu exprimer auparavant. Raouf, le petit dernier, retrouvait son insouciance d’enfant en jouant des heures dans le jardin de sa tante.
Mais le chemin pour se défaire des années de violences psychologiques était encore long. Des crises d’angoisse subites secouaient parfois toute la maisonnée, quand un geste ou un mot de Fériel et Hassine réveillait certains traumatismes enfouis. Noura, elle, restait prisonnière d’un sentiment de culpabilité étouffant. Comment avait-elle pu laisser son monstre de mari tant détruire ses enfants ?
Ce fut lors de l’une de ces crises qu’elle prit conscience de l’impérieuse nécessité d’un suivi psychologique pour tous. Le déclic survint lorsque Malek, hanté par les humiliations de son père sur son apparence, commença à développer de graves troubles alimentaires. Paralysée par ces images du petit garçon autrefois si plein de vie désormais obnubilé par son poids, Noura comprit qu’ils ne s’en sortiraient pas seuls.
Elle fit alors appel à une psychologue réputée à Tunis, spécialisée dans les cas de violences conjugales et familiales. Fatma, car c’était son nom, se montra d’un grand réconfort dès la première séance avec sa douceur et son empathie à toute épreuve. Un véritable bol d’air dans le marasme émotionnel qui avait trop longtemps enveloppé cette famille meurtrie.
Grâce à un suivi intensif, chacun put enfin trouver l’espace pour se reconstruire. Samia apprit à chasser les voix intérieures dévalorisant son apparence physique. Malek réapprit doucement à s’accepter tel qu’il était, avec ses forces et ses faiblesses. Raouf, lui, put extérioriser par le dessin ses peurs et angoisses enfouies. Quant à Noura, les séances lui permirent de faire la paix avec ses tourments de mère, et de comprendre que la seule coupable dans cette tragédie était la monstruosité psychologique de son ex-mari.
Passé le cap de la thérapie intensive, ce fut une vie paisible qui s’ouvrit alors pour la petite famille à Tunis, rythmée par le rire et l’amour si longtemps volés. Chacun s’épanouit dans ses passions nouvellement découvertes, entouré de l’affection bienveillante de Fériel et Hassine.
Lorsque Mohamed Ali apprit où s’était réfugiée sa famille, il déferla dans une tempête de menaces et de représailles judiciaires pour récupérer la garde des enfants. Mais cette fois, toutes ses manœuvres d’intimidation se heurtèrent à un bloc uni et déterminé. Noura, aidée de Fatma, put étayer un dossier implacable retraçant les moindres sévices psychologiques qu’elle et ses enfants avaient subis durant des années. L’enquête révéla même que Mohamed Ali se livrait aux mêmes dérives auprès de ses propres parents âgés.
Face à l’accumulation des preuves, le juge n’eut d’autre choix que de lui retirer définitivement la garde des enfants. Le narcissique pervers se retrouva alors seul, privé de ses boucs émissaires et de son narcissisme alimenté par la souffrance de ses victimes. Sans aucun pouvoir pour les atteindre, Mohamed Ali finit par sombrer dans un profond désarroi dépressif, regrettant amèrement ses actes lorsque la réalité le frappa enfin.
De leur côté, libérés de l’emprise toxique, Noura et ses trois enfants purent enfin renaître à la vie, plus forts et soudés que jamais. Malek se lança avec passion dans des études de pâtisserie, remportant de nombreux concours. Samia devint un mannequin solaire, fière de ses rondeurs qu’elle arborait avec grâce. Raouf, le petit dernier, connut un parcours brillant d’ingénieur qu’il émaillait de ses talents artistiques.
Et Noura, elle put enfin transmettre à ses enfants tout l’amour inconditionnel qu’elle avait dû trop longtemps refouler. Car même dans les pires ténèbres, la lumière de l’amour avait survécu en elle, telle une flamme vacillante mais tenace. C’est elle qui lui avait permis de trouver la force de protéger ses enfants du monstre qui les détruisait. Une flamme désormais devenue l’éclatant brasier d’une famille unie et heureuse, à jamais libérée du joug des violences psychologiques du passé.