La chaleur était étouffante en cette fin d’après-midi dans la ville côtière de Merizah, au Tunistan. Derrière les hauts murs de la propriété des Salim, les cris d’enfants déchiraient le silence. Sarah Salim, la maîtresse des lieux, se tenait immobile devant la grande baie vitrée, regardant d’un air vide le sublime yacht de 80 pieds amarré au ponton privé. Le Prince Noir, flambant neuf et d’une valeur de plusieurs millions, devait être un symbole de richesse et de pouvoir pour son mari Daly. Un pouvoir mal acquis sur les ruines de vies brisées.

Sarah avait longtemps fermé les yeux sur les agissements de son époux, se voilant la face. Mais les récents témoignages glaçants d’anciennes employées de maison et la révélation des exactions commises sur ses propres filles l’avaient frappée de plein fouet. Le diagnostic sans appel du psychiatre résonnait en boucle dans son esprit : « Votre mari est un pervers narcissique dénué d’empathie, une véritable patricien du Mal… »

Ce soir, elle avait pris une décision : reprendre ce qui lui appartenait pour protéger ses filles et s’extirper des griffes de ce monstre. Le fisc n’était pas dupe, le Prince Noir avait été acheté en fraude au nom de Sarah pour dissimuler l’argent de la corruption. Peu lui importait à présent ces histoires d’évasion fiscale alors que des crimes bien plus graves empoisonnaient leur famille.
Un bruit sourd retentit, vite suivi de hurlements déchirants. Sarah réprima un haut-le-corps et se dirigea d’un pas lourd vers le couloir d’où provenaient les cris. Chacun de ses pas lui était une torture, mais elle se devait d’affronter cette réalité une bonne fois pour toutes. Elle poussa lentement la porte de la chambre…

La scène qui s’offrit aux yeux de Sarah la pétrifia d’horreur. Dans la pénombre de la chambre, son mari Daly était allongé sur le lit King size, uniquement vêtu d’un pagne. A ses côtés se tenaient leurs deux filles cadettes, âgées de 8 et 10 ans, entièrement dénudées. La plus jeune, Leïla, présentait d’inquiétantes marques rouges sur les poignets et les chevilles comme si on l’avait durement ligotée. Daly tenait un martinet à la main, savourant d’un air extasié les pleurs et les supplications des deux enfants.

Le Règne du Mal
Le Règne du Mal

Ainsi ma douce, tu enfin décidé à nous rejoindre pour les jeux de Papa ? lança-t-il d’une voix doucereuse à Sarah.

Cette dernière fut prise de violents haut-le-cœur tandis que les cauchemars relatés par ses filles prenaient vie sous ses yeux. Elle avait refusé d’y croire, forçant son déni le plus longtemps possible. Mais l’innommable s’était produit, pire que tout ce qu’elle avait pu imaginer.

Espèce de détraqué ! hurla-t-elle en se précipitant vers les petites.

D’un geste vil, Daly repoussa brutalement Sarah qui s’effondra au sol en se cognant la tempe contre le bord d’une commode. Dans un réflexe, elle asséna un violent coup de pied dans le tibia de son bourreau qui lâcha le martinet en poussant un cri de douleur. Profitant de ce répit, elle aida ses filles tremblantes à enfiler des vêtements et les serra tout contre elle pour les protéger.

Vous ne pouvez pas me fuir mes chéries, souffla Daly en se massant la jambe. Papa a encore tellement de jeux amusants à vous faire découvrir…

L’homme paraissait plus excité que jamais, totalement déconnecté de la réalité. Sarah comprit que dans son délire pervers, il était prêt à tout pour assouvir ses pulsions destructrices, y compris sur sa propre famille. Elle devait fuir au plus vite cet enfer !
S’armant d’un lourd vase en cristal, elle asséna un coup violent à l’arrière du crâne de Daly qui s’effondra inconscient sur le lit défait. Les trois femmes n’attendirent pas une seconde de plus pour se ruer dans le couloir et rejoindre l’entrée principale…

A peine arrivées dans le hall d’entrée, Sarah repéra un antique souvenir de voyage : une lourde statuette en bois représentant un guerrier maori. Sans hésiter, elle s’en saisit pour l’utiliser comme une arme de fortune. Les filles tremblaient de tous leurs membres, choquées par la violence de la scène dont elles venaient d’être les victimes.

Par ici vite, il ne faut pas rester là ! chuchota Sarah en les entraînant vers la porte donnant sur le ponton privé.

Au même instant, un bruit sourd retentit à l’étage accompagné de hurlements de bête faussée. Daly avait repris connaissance et ne tarderait pas à leur tomber dessus. Sarah redoubla d’efforts pour avancer au plus vite malgré sa cheville foulée dans la bousculade.
Ils atteignirent enfin la petite crique où était amarré le somptueux yacht du Prince Noir. Le splendide navire de 80 pieds crachait ses nobles reflets nacrés sur l’eau turquoise. Il leur apparaissait comme l’unique échappatoire à cette luxueuse prison devenue un véritable enfer.

Vite les filles, larguez les amarres ! ordonna Sarah en posant pied sur le ponton d’embarquement.

Derrière eux, la porte de la villa s’ouvrit dans un fracas de tous les diables pour laisser apparaître Daly, une ranger à la main et le crâne en sang, hagard comme une bête traquée.

Vous n’irez nulle part, bandes de traînées ! hurla-t-il en se ruant vers elles d’un pas claudiquant.

Sarah brandit la lourde statuette de bois pour se protéger, déterminée à en découdre si nécessaire, quitte à tuer son propre mari pour sauver ses filles et elle. Le choc était imminent quand…

Soudain, une puissante déflagration retentit près du ponton, projetant des débris et un nuage de fumée dans les airs. Sarah se jeta instinctivement sur ses filles pour les protéger tandis que Daly, déséquilibré par l’onde de choc, basculait la tête la première dans l’eau en lâchant un cri rauque.
Quelques secondes de silence assourdissant suivirent, avant que deux hommes cagoulés et lourdement armés ne surgissent de derrière un cabanon en bois. L’un d’eux, bedonnant et à la voix rocailleuse, se dirigea vers Sarah d’un pas menaçant :

Alors la donzelle, on essaye de nous doubler sur les profits du Prince Noir ?

Sarah réalisa avec effroi que ces hommes devaient être les nouveaux partenaires véreux de son mari dans un de ses innombrables trafics. Des larmes de rage lui montèrent aux yeux tandis qu’elle serrait ses filles contre elle.

Ce bateau est à moi, officieusement acquis à mon nom pour blanchir l’argent de la corruption de ce malade ! cria-t-elle en désignant Daly qui se débattait dans l’eau. Je repars avec mes enfants, vous feriez mieux de ne pas nous en empêcher !

Le plus massif des deux hommes éclata d’un rire gras avant de dévoiler des dents en or dans un rictus menaçant :

Chérie, tu ne réalises pas à qui tu parles. La marine, la police, la capitainerie du port, tous sont dans notre poche ou celle de ton dingue de mari. Tu n’iras nulle part !

Sur ces mots, il dégaina son arme et la braqua sur Sarah et ses filles. Un sourire sadique ourlait ses lèvres, semblable à celui de Daly lors de ses fureurs perverses. La rousse comprit que le cercle de l’horreur ne faisait que se répéter inlassablement.
Soudain, un bruit de moteur se fit entendre depuis le large. Tous se retournèrent pour voir une vedette rapide de la garde côtière foncer dans leur direction…

La vedette rapide de la garde côtière fonçait à vive allure vers le ponton privé, ses puissants moteurs rugissant sur les flots. À son bord se tenaient une demi-douzaine d’hommes lourdement armés, l’air déterminé. Sarah hésita entre le soulagement d’un possible sauvetage et la crainte que ces nouveaux arrivants ne soient de potentiels nouveaux bourreaux à la solde des corrompus.
Les deux hommes cagoulés qui les menaçaient quelques instants auparavant parurent soudain bien moins sûrs d’eux. L’un d’eux prit la parole d’une voix mal assurée :
« Merde, qu’est-ce que c’est que ce boxon ? Daly ne nous avait pas prévenus pour des renforts des garde-côtes !

On se casse ! » rétorqua son comparse en échappant quelques jurons.

Sans demander leur reste, ils prirent la fuite en détalant vers les dunes qui bordaient la propriété des Salim. Sarah poussa un soupir de soulagement mêlé d’inquiétude en voyant que la vedette militaire accostait enfin sur le ponton.
Un homme d’une soixantaine d’années à l’allure revêche mais au regard bienveillant descendit en premier, vêtu de l’uniforme kaki des forces maritimes tunistiennes. Malgré son crâne dégarni, son corps athlétique trahissait une grande forme physique peu commune pour son âge.
« Madame Salim ? Repos, vous êtes en sécurité à présent. Je suis le Capitaine Al-Fazari et nous avons été dépêchés ici à la demande du Procureur Ghazi. »
Sarah n’en crut pas ses oreilles. Le vieux procureur Ghazi qu’elle connaissait de réputation pour être l’un des rares hommes intègres de ce pays gangrené par la corruption ? Elle lui avait pourtant fait parvenir un dossier compromettant sur les agissements de son mari mais ne s’attendait pas à une telle réactivité des autorités.
« Comment…? Mais par quel miracle ? bredouilla-t-elle, livide.

Votre dossier faisait la lumière sur un effroyable scandale que nous ne pouvions plus ignorer, répondit Al-Fazari d’une voix grave. Par mesure de précaution, nous avons mené un assaut musclé pour vous exfiltrer des griffes de ce… de votre mari.
Merci mon Dieu, murmura Sarah en lâchant quelques larmes de soulagement. J’ai cru que nous n’en sortirions jamais… »

Al-Fazari posa une main rassurante sur son épaule avant de se tourner vers le large, les sourcils froncés. Daly d’abord malmené par les vagues, venait de regagner la surface en crachotant et en jurant comme un beau diable. L’homme fit signe à deux de ses hommes d’aller le récupérer sans ménagement.
« Ne vous en faites pas, nous allons nous occuper de son cas comme il se doit. À présent, tout est terminé… »

Malgré les paroles rassurantes du Capitaine Al-Fazari, Sarah ne pouvait se départir d’un profond sentiment d’angoisse. Son enfer avait peut-être pris fin ce jour, mais celui de ses filles ne faisait que commencer. Les traumatismes subis au sein de cette famille brisée par la perversion et la violence laisseraient des séquelles à vie.
Tandis que les gardes maritimes remontaient de force Daly sur le ponton en le bousculant sans ménagement, ce dernier hurla dans leur direction :
« Vous ne vous en tirerez pas comme ça, bande de traînées ! Je vous pourrirai la vie jusqu’à la mort ! »
Son teint rougeaud et gonflé par les nombreux coups rendait son apparence encore plus repoussante et inhumaine. Sarah frissonna en croisant le regard d’une noirceur sans fond de son bourreau. Elle comprit que malgré les barreaux, ce démon aux pulsions destructrices continuerait de les hanter par-delà sa propre incarcération.
Le Capitaine Al-Fazari administra une puissante gifle à Daly pour le faire taire, sous le regard terrifié des deux jeunes filles. D’une voix dure, il intima :
« Epargnez votre venin, immondice. Les prochains mois en prison vous serviront de défense contre les bassines que vous vous apprêterez à subir derrière les barreaux pour vos innombrables crimes. »
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres gercées de Daly :
« La prison ? Vous plaisantez j’espère ? Avec l’argent que j’ai encore pas mal de gardes et de directeurs à ma bou… »
Sa phrase resta en suspens car Al-Fazari le saisit violemment par le col avant de l’attirer jusqu’à son visage buriné :
« Votre pactole n’a plus aucun pouvoir désormais. Grâce aux preuves fournies par votre femme, tous vos comptes en Suisse et ailleurs ont été saisis. Vous êtes foutu, alors ravale ces airs arrogants avec ton petit sourire en coin si prisé ! »
Sur ces mots, le vieil homme robust repoussa Daly dans les bras musclés de ses gardes qui l’entravèrent sans douceur pour le faire monter dans leur embarcation. Sarah et ses filles assistèrent, muettes, à cet embarquement vers un destin désormais scellé.
Al-Fazari se dirigea une dernière fois vers elles, et prenant la main de Sarah dans un geste paternel, déclara :
« Madame, tout a été prévu pour vous faciliter cette nouvelle vie, loin de ce cauchemar et des traumatismes passés. Une nouvelle identité, un nouveau départ vous attendent ainsi que des soins pour vos filles. Après tant d’épreuves, je vous souhaite enfin la paix. »
Sarah hocha la tête, la gorge nouée par l’émotion tandis que ses deux enfants se blottirent contre elle en silence.
Quelques minutes plus tard, l’embarcation des gardes côtiers s’éloignait déjà du ponton, emmenant Daly entravé vers une sombre geôle dont il ne ressortirait peut-être jamais. A bord du somptueux yacht qu’elle venait de récupérer, Sarah laissa enfin ses larmes couler à flots, pleurer comme un poids immense qu’on venait de retirer de sa poitrine. Une nouvelle vie, enfin libre des chaines de la perversion et de la malédiction, s’offrait à elles.

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